La philosophie qui se cache derrière Bitcoin
Bitcoin n'est pas né de l'idée d'un génie caché derrière un ordinateur. Il est l'œuvre de tout un mouvement d'activistes qui œuvrent dans l'ombre pour vos droits.
Penser que Bitcoin n’est qu’un objet spéculatif sans valeur ajoutée est une erreur.
À l’origine de beaucoup de fantasmes et parfois décrié, Bitcoin est le fruit d’une philosophie qui veut vous protéger.
À la fin de cet article, vous aurez un nouveau regard sur Bitcoin… et sur vos données.
Cypherpunk : le bac à sable de Bitcoin
Le mouvement Cypherpunk se forme au début des années 90.
Ce nom provient de “cyberpunk”. Une sous-branche de la science fiction souvent associée à la dystopie. Le mot “cyber” a été remplacé par “cipher” — chiffrement en anglais.
La cryptographie est une science qui consiste à protéger les messages en les chiffrant.
Cette science n’est pas nouvelle. Dans l’Antiquité déjà, Jules Cesar cryptait ses messages secrets par un procédé simple, appelé le code de Cesar.
Aujourd’hui, fini les lettres sur papier. Nous utilisons la cryptographie pour des données numériques. Vos mails. Vos SMS. Ou encore, le contenu de votre disque dur.
Les Cypherpunks on fait de la cryptographie leur cheval de bataille pour faire respecter vos droits.
Origines du mouvement Cypherpunk
Posons nos valises juste avant les années 70. À cette époque, la cryptographie est réservée aux militaires et aux agences d’espionnage.
Jusqu’au début des années 90, des publications scientifiques posent les standards et proposent des modèles de chiffrements. Le grand public n’est pas encore concerné.
Pourtant, la décennie de Queen et 2Pac est celle où le monde commence à se connecter.
Le web fait son apparition. Toutes les entreprises disposent de systèmes de communication électronique. Dans la foulée, les ordinateurs personnels envahissent les foyers du monde entier.
Les échanges électroniques s’intensifient. Les mails, toujours plus utilisés, sont le fer de lance de cette vague de communication peu coûteuse et rapide. Ainsi, les gros acteurs du web accumulent des masses de données sur leurs utilisateurs.
Dans l’histoire contemporaine, les bases de données ont fait du mal. Pendant la WW2, le parti Nazi allemand met la main sur les registres (en papier, à l’époque) qui identifient tous les juifs de France. Vous connaissez la suite : un carnage inhumain. Les bases de données de l’État français l’ont facilité.
La révolution numérique soulève alors quelques questions dans la société civile.
Comment préserver l’intimité des échanges ?
Peut-on interagir sur le web sans être espionné ?
Comment garantir la protection des données ?
Est-il possible d’être anonyme, quand on le souhaite ?
En opposition avec cette prise de pouvoir des noms sans visage — les états et les sociétés privées — des groupes se forment et réfléchissent à ces questions.
Au début des années 90, un groupe de personnes se crée autour d’une liste emails pour échanger sur ces questions. C’est la naissance de la Cypherpunk’s mailing list.
Elle regroupe une bande de geeks, rois de la cryptographie, pour échanger des idées, proposer des algorithmes de chiffrement et partager leur vision du web à long-terme. On peut parler d’un Think Thank indépendant.
En 1993, un membre de la mailing list s’illustre publiquement. Eric Hughes propose le Cypherpunk’s Manifesto. C’est le document de référence qui explique la philosophie du mouvement. Ce manifeste avait tout son sens en date et résonne toujours en 2020.
Le premier paragraphe du manifeste est très clair :
“Privacy is necessary for an open society in the electronic age. Privacy is not secrecy. A private matter is something one doesn't want the whole world to know, but a secret matter is something one doesn't want anybody to know. Privacy is the power to selectively reveal oneself to the world.”
Les Cypherpunks ne veulent pas cacher des activités illégales ou compromettantes. Ils souhaitent s’assurer que les données soient protégées et qu’il soit possible d’être anonyme sur le web.
Les raisons sont simples :
Vous ne connaissez pas le traitement de vos données personnelles,
Si quelqu’un de mal intentionné capte et analyse ces données, elles peuvent se retourner contre vous.
Pour les Cypherpunks, le chiffrement des données et l’anonymat sur internet ne doivent pas être une option.
Faisons une analogie. Si vous avez des rideaux à vos fenêtres, ce n’est pas pour vous cacher. Mais pour éviter d’être vus. C’est pareil avec vos données personnelles.
J’aime bien illustrer cette métaphore par une citation de Julien Assange, visage public de WikiLeaks :
“So when Putin goes out to buy a Coke, thirty seconds later it is known in Washington DC.”
Cypherpunks = héros ?
Un mouvement d’activistes peut paraître hostile. Mais croyez-moi, les Cypherpunks vous veulent du bien !
Parmi eux, certains noms sont célèbres pour leurs inventions ou leurs contributions au mouvement. Voici une — très courte — liste de personnes remarquables issues du mouvement :
Jacob Appelbaum : développeur du navigateur Tor. Vous savez, celui qui vous permet d’aller sur le fameux darknet.
Julian Assange : fondateur de WikiLeaks. Il risque jusqu’à 175 ans de prison aux USA pour avoir dévoilé des secrets d’état.
Dr Adam Back : inventeur de Hashcash — nous y reviendrons — et cofondateur de Blockstream, une société qui développe des solutions autour des technologies blockchain.
Bram Cohen : créateur de BitTorrent. Rappelez-vous de l’époque avant Spotify et Netflix. C’est avec ce logiciel que vous téléchargiez illégalement des musiques, des films et des séries
Moxie Marlinspike : développeur de l’application de messagerie chiffrée Signal, entre autre. Ce n’est pas pour rien si elle est devenue l’application préférée de la Commission Européenne.
Philip Zimmermann : créateur de la première version de PGP. Un système de chiffrement des emails.
Parmi ces projets, certains peuvent paraître extrêmes. D’autres sont indispensables.
Un projet comme BitTorrent peut être remis en cause. Les artistes qui investissent du temps, de l’argent et de l’énergie pour produire des films, des séries ou de la musique ne méritent-ils pas d’être payés à leur juste valeur ?
Julien Assange a pris l’initiative de révéler des secrets d’états. Les USA ont demandé son extradition pour l’enfermer avec les plus grands criminels du monde.
Philip Zimmermann est allé directement à l’encontre d’une loi américaine adoptée peu avant sa publication de PGP. Celle-ci autorise le gouvernement à intercepter toutes les communications, sous couvert de sécurité nationale et de lutte anti-criminelle. Récemment, les révélation de Edward Snowden ont prouvé que l’écoute de masse ne sert pas qu’à tracker des terroristes. Zimmermann a fait l’objet de poursuites judiciaires, abandonnées en 1996.
Par ailleurs, PGP ou Sinal permettent à monsieur et madame tout le monde de sécuriser leurs communications privées. Contrairement à ce que vous pouvez penser, des échanges textes — qui paraissent anodins — peuvent se retourner contre vous.
Bien sûr, je ne vous ferai pas la morale sur l’utilisation des réseaux sociaux. Je vous laisse creuser le scandale de Cambridge Analytica avec les données de Facebook.
Vous pouvez constater que certains Cypherpunks se sont attirés des problèmes de grande envergure que ni vous, ni moi n’avez envie d’avoir. Enfin, je suppose.
La monnaie dans le viseur des Cypherpunks
Parmi les Cypherpunks célèbres, un certain Satoshi Nakamoto a — beaucoup — fait parler de lui. Ce nom à consonance japonaise est un pseudonyme. Personne ne sait qui se cache derrière. Un homme ? Une femme ? Un groupe ? Peu importe.
En 2008, Satoshi Nakamoto rassemble toute la philosophie et certaines innovations Cypherpunks pour écrire le livre blanc de Bitcoin. Ce document contient une invention majeure : la blockchain.
Lien entre Bitcoin et Cypherpunks
Parmi les innovations importantes des Cypherpunks, j’ai cité PGP et Hashcash.
PGP a été succinctement décrit. Mais il a un lien fort avec Bitcoin : le chiffrement asymétrique (clé privé / clé publique). Cette méthode de cryptographie permet de rendre illisible un contenu, même s’il est intercepté. Satoshi Nakamoto s’en sert pour rendre les utilisateurs du réseau anonymes. Ou presque.
L’anonymat des utilisateurs Bitcoin n’est pas très puissant de manière intrinsèque. Il est possible d’identifier les personnes qui se cachent derrière les portefeuilles. Malgré tout, en faisant quelques efforts techniques et financiers, il est possible de renforcer votre anonymat sur le réseau Bitcoin.
Hashcash est une autre innovation importante. Elle est utilisée pour le logiciel qu’utilisent les mineurs de Bitcoin. Grâce à des calculs informatiques, ils valident les transactions de la blockchain. En bref, ils affirment qu’elles sont authentiques et respectent le protocole du réseau via leur preuve de travail.
Grâce à la blockchain, Bitcoin vous redonne le pouvoir sur votre “argent” en décentralisant le protocole. Vous êtes le seul maître de votre compte. Vos bitcoins vous appartiennent. Aucun tier de confiance — banques, sociétés privés ou états — n’a les moyens de vous empêcher d’utiliser vos Bitcoin.
Clé privé / clé publique, Hashcash et blockchain augmentent la confiance que peuvent avoir les utilisateurs entre eux et envers le réseau.
Contexte favorable à Bitcoin
Les premiers textes publiés par Satoshi Nakamoto au sujet de ce qui deviendra Bitcoin datent de 2008.
Dans l’histoire de l’économie et de la finance, 2008 est une date importante : crise des subprimes. Elle démarre aux USA et se propage rapidement à échelle mondiale.
Cette crise emporte une banque américaine expérimentée : Lehman Brothers. Elle déposera le bilan la même année. Toutes les banques du monde tremblent. Ce qui arrive au géant américain peut arriver à n’importe qui. Pas sans répercussion sur leurs clients.
Il faut savoir qu’en cas de chute brutale de votre banque, vous pouvez perdre l’accès à votre argent. Dans le cas le plus grave, si aucun garant ne soutient l’établissement bancaire, vos économies peuvent être perdues.
Cette peur se propage. Beaucoup en prennent conscience. Aucune alternative n’existe à cette date. Mais Bitcoin est dans les tuyaux…
Le 3 janvier 2009, le premier bloc de Bitcoin — le Genesis — est miné par Satoshi Nakamoto. En guise de preuve, il a inséré dans cette transaction une preuve de la date du jour, et un message subtil : la couverture du journal The Time du jour.
“Chancellor on brink of second bailout for banks” — le message subtil.
Les évènements du monde de la finance mettent beaucoup de questions sur la table. On constate que le système n’est qu’un chateau de carte dont tout le monde fait partie. Surtout les particuliers. Finalement, les banques ont presque pouvoir de vie ou de mort sur leurs clients.
Bitcoin propose une alternative puissante pour les trois raisons évoquées : la décentralisation, la sécurité et le “presque-anonymat”.
Le projet démarre donc à un moment où beaucoup attendent une solution pour reprendre le contrôle sur son argent. Ce contexte favorable va le faire résonner.
Les débuts de Bitcoin
Bitcoin est là. Désormais, Satoshi Nakamoto n’est plus le maître. Il appartient à chacun de s’impliquer — ou pas — dans ce projet open source.
Bitcoin n’a pas de CEO. Il vous appartient autant qu’à quiconque.
En octobre 2009, une première estimation de Bitcoin est faite. Elle peut paraitre invraisemblable en 2020 : 1 BTC = 0,001 USD, soit environ 0,00071 €.
En 2010, Bitcoinmarket.com voit le jour. C’est la première plateforme d’échange monnaies fiduciaires / Bitcoin qui voit le jour. En quelques clics, tout le monde peut acheter du Bitcoin.
La première explosion du Bitcoin arrive en 2011. Un BTC est alors évalué à 28 €. Malgré tout, Bitcoin reste toujours un projet réservé à des “geeks”. Aucun média mainstream n’a encore évoqué le sujet.
La même année, une transaction en Bitcoin fait parler d’elle. Le paiement de 35 BTC nécessite des frais de 171 BTC.
En 2013, Bitcoin grimpe jusqu’à 287 €. Mastercoin, aujourd’hui Omni, réalise la première ICO. Une levée de fonds en Bitcoin. Ce sera la première d’une — très — longue série.
En décembre de la même année, Bitcoin atteint 850 €. La cryptomonnaie dépasse le cercle des geeks. La Chine “déconseille” aux institutions financières et bancaires traditionnelles de son pays d’utiliser des devises numériques. La Banque de France emboite le pas et publie une note assez hostile à Bitcoin.
Depuis, le Bitcoin a connu d’autres bulles. En 2017, il flirte avec 20 000 $ et avec 12 500 $ en 2019.
Désormais, quasiment tout le monde a entendu parler de Bitcoin. Au delà de la volatilité de son cours, plusieurs questions se posent :
Quels sont les usages de Bitcoin ?
Est-ce que Bitcoin sera adopté par monsieur et madame tout le monde?
Seul l’avenir nous le dira, mais qu’en est-il aujourd’hui ?
Les usages de Bitcoin en 2020
Souvent vu comme une valeur spéculative, les aficionados de Bitcoin tentent de démocratiser les usages de cette cryptomonnaies. L’objectif est de faire de cette devise digitale une monnaie à part entière, utilisée par tous et au quotidien.
Acheter un café — ou une bière
Une invention permet à Bitcoin de marquer un tournant : le Lighting Networlk (LN). Il est développé par Blocksteam, une entreprise créée par Adam Back, le créateur de Hashcash.
Lancée en 2018, LN permet d’accélérer les petites transactions sur le réseau Bitcoin. Vous pouvez désormais payer un café à 3 €. Sur le réseau Bitcoin, les nouvelles transactions sont validées toutes les 10 minutes. Plus besoin d’attendre. Tout devient instantané.
Une liste de tout les points de vente qui acceptent Bitcoin est disponible sur bitcoin.fr.
ATM
Échanger des euros contre des bitcoins se fait essentiellement en ligne. Sur des plateformes comme Coinhouse ou Coinbase.
Un geste du quotidien a été emprunté à l’économie institutionnelle par l’économie Bitcoin : le distributeur. Ou ATM pour les plus internationaux d’entre nous.
Via une borne, vous pouvez recharger votre wallet Bitcoin en échange de cash ou par carte bancaire. Pour trouver les distributeurs les plus proches de chez vous, il existe une liste de tous les ATM déployés dans le monde.
Cartes “crypto-bancaires”
Les Bitcoin’s adopters sont déterminés à le démocratiser. Un autre symbole de l’économie institutionnelle est la carte de crédit.
Des services émergents pour proposer des cartes bancaires qui fonctionnent comme celle de votre — bonne vielle — banque. Elles aussi sont estampillées Mastercard ou Visa, mais elles ne créditent pas votre compte en banque. C’est votre wallet Bitcoin (ou autre) qui sera débité.
Crypto.com fait une campagne marketing agressive. Si vous gravitez autour des sujets cryptomonnaies sur le web, vous avez été ciblé. Sur certaines plateformes, en contre partie de l’utilisation de votre carte, vous recevrez un cashback en MCO, le token lancé par Crypto.com.
Le taulier Coinbase a lancé la sienne en 2019.
D’autres acteurs se lancent dans la course. La plateforme d’échange de cryptomonnaies Binance a annoncé que sa carte de crédit sera bientôt disponible.
Conclusion
Bitcoin est né de la philosophie et des travaux des Cypherpunks. Les objectifs de ce mouvement sont de sécuriser les données et de pouvoir assurer l’anonymat des internautes. Bitcoin les applique pour la monnaie.
Satoshi Nakamoto a lancé Bitcoin dans un contexte qui lui était très favorable. Malgré un cours très volatile, la cryptomonnaie gagne du terrain. Des gestes du quotidien deviennent possibles en cryptomonnaie. Les fervents supporters de Bitcoin travaillent d’arrache pied pour que la technologie soit massivement adoptée.
Sources 📚
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chiffrement_par_d%C3%A9calage
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cypherpunk
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cyberpunk
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dystopie
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cryptographie
https://fr.wikipedia.org/wiki/Eric_Hughes
https://www.activism.net/cypherpunk/manifesto.html
https://wikileaks.org/
https://www.coindesk.com/the-rise-of-the-cypherpunks
https://www.thecointribune.com/actualites/aux-sources-de-bitcoin-le-pgp-the-cypherpunk-chronicles-1/
Vidéos de Cryptodidacte “The Cypherpunks Chronicles” sur PGP et Hashcash : https://www.youtube.com/channel/UCo6TG2zdXIdA7_ZHXU04nKQ (lien de sa chaîne YouTube)
https://www.theverge.com/2020/2/24/21150918/european-commission-signal-encrypted-messaging
https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Snowden
https://en.bitcoin.it/wiki/Hashcash
https://cryptoast.fr/bitcoin-vie-privee-donnees-personnelles/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_des_subprimes
https://bitcoin.fr/histoire/
https://bitcoin.fr/Quand-la-Banque-de-France-s-interesse-a-Bitcoin/
https://en.wikipedia.org/wiki/Lightning_Network
https://bitconseil.fr/bitcoin-lightning-network-histoire-fonctionnement/
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